Itinéraire d’un anonyme de la rue

Chaque année, de nombreux sans-abris perdent la vie sur la voie publique et les identifier relève bien souvent de la prouesse. Selon le collectif des “Morts de la rue”, environ 500 personnes non identifiées sont recensées chaque année. Upertist a retracé pour vous le processus d’identification d’un corps sans vie.
 
Paris- Porte Dorée - Marco fait partie des quelques 500 sans-abris décédés sur les pavés. Pour de nombreux riverains, il représentait la «figure du quartier» et était très apprécié, certains enfants des écoles avoisinantes l’adulaient et le connaissaient. C’est grâce à ses sourires, sa bienveillance et sa gentillesse avec les gens du coin, qu’il a rapidement pu être identifié à sa mort.

Le collectif des Morts de la rue


Créé en 2002, le collectif «Morts de la rue» a pour initiative de retrouver les proches des personnes décédées sur la voie publique, mais également d’essayer à force de recherches dans le voisinage, auprès des riverains ou encore au sein des commerces, de dresser le portrait des personnes décédées afin d’honorer leur mémoire et de respecter leur dignité. 

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C’est par le biais d’une affichette placardée contre un arbre, du côté de Marx Dormoy que
nous avons eu connaissance du collectif. L’affiche contenait un texte court mentionnant le décès d’un sans-abri dont l’identité n’était pas encore établie. Cette méthode a déjà fait ses preuves et notamment avec Marco, dont l’histoire est racontée sur le blog de l’association et dont on apprend qu’on a pu mettre un nom sur son visage grâce aux enfants inscrits dans l’école du quartier: «
Il est mort ici ? C’est sûrement Marco, il dormait toujours là... Parfois, on discutait avec lui ». Le rôle des passants, des commerçants et des riverains est souvent crucial dans le processus d’identification d’une personne sans chez-soi. Leurs témoignages permettent régulièrement d’écourter une enquête et de la classer. 



Absence de statistiques 



Bouquet gros plan retouch.jpgLe Collectif, ainsi que Daniel Terrolle, anthropologue ayant réalisé de nombreuses études sur les sans-abris, sont unanimes: l’absence de statistiques est évidente. Dénombrer avec exactitude le nombre de décès des SDF relèverait de l’exploit. L’association estime néanmoins qu’environ 17% des cas réels lui sont signalés. La Préfecture de Police n’a aucun chiffre et la Mairie de Paris n’a pas répondu à nos demandes répétées d’informations sur la question.
Ce phénomène peut s’expliquer par plusieurs raisons: la première est qu’il arrive souvent que les sans-abris ne puissent être identifiés et qu’ils soient donc enterrés «sous X» et la seconde est que les morts des SDF sont souvent comptabilisées parmi celles des personnes inactives (retraités, femmes au foyer, etc).
L’association constate également que les sans-abris décèdent environ 30 plus tôt que la moyenne nationale.


L’institut Médico-Légal de Paris: lieu de passage oblige

Dès la découverte du corps, la dépouille est emmenée à l’Institut Médico Légal de Paris afin que le légiste puisse procéder à un examen préliminaire, pour déterminer les causes de la mort. Cette étape est importante, car elle permettra de déterminer si la personne a été victime de violence et si sa mort a été suspecte. Selon le rapport annuel du collectif, une mort sur deux fait suite à une cause violente (accident, agression, etc).
Si un cas suspect est avéré, le parquet est saisi et il ordonne une autopsie qui confirmera ou infirmera les doutes du légiste. Si les présomptions de l’examen sont avérées, une enquête sera ouverte. L’institut se charge également de collecter les données nécessaires à l’identification sur la dépouille: ADN, empreintes dentaires, empreintes etc. Ces informations seront ensuite communiquées à la BIJ (Brigade d’Identification Judiciaire).
Le corps sera conservé à l’IML jusqu’à ce qu’on trouve 7 compagnons qui l’accompagneront au Cimetière de Thiais.
En l’absence de nom connu, le légiste nommera le corps en fonction du Saint fêté ce jour là: «X pouvant être Gérald ». S’il est mort à l’hôpital, ils l’appelleront « X » suivi d’un numéro de matricule.

Les services judiciaires

La B.I.J se charge d’identifier le corps et envoie une photo post-mortem au CHAPSA (Centre d’Hébergement et d’Assistance aux Personnes Sans-Abri). La brigade réalise également une enquête de voisinage autour du lieu de décès.
« On interroge les sans-abris aux points de réunions connus des sans-abris du quartier » témoigne par téléphone une policière déjà chargée d’une enquête similaire.
Le service d’Identité Judiciaire est sollicité pour croiser les données du sans-abri décédé avec les fichiers génétiques nationaux (ADN, empreintes) dans le cas où aucun élément n’a été découvert. Si les différents services mobilisés sont encore bredouilles, le dossier est transmis au service de police judiciaire de répression de la délinquance contre les personnes. Les enquêtes durent généralement entre 1 et 6 mois, selon une source policière.

Les dentistes
 
Les autorités ont souvent recours à l’utilisation du schéma dentaire pour identifier un corps. Généralement, une enquête auprès des dentistes situés près du lieu de décès est réalisée afin de pouvoir comparer le schéma dentaire du défunt avec ceux conservés par le dentiste.
Il existe également des revues spécialisées («Identité Dentaire», Lettre interne de l’Ordre etc.) dédiées aux dentistes, lesquelles sont parfois amenées à publier des schémas dentaires, de personnes non identifiées. Ces revues sont diffusées par l’Ordre des Chirurgiens Dentistes.
Serge Fournier, président de l’Ordre des chirurgiens dentiste, revient toutefois sur l’efficacité du système :
« Mais il faut un coup de chance pour que ça marche, vous imaginez le nombre de patients que voit un dentiste, s’il devait se souvenir de tous les schémas de ses patients par cœur, c’est presque impossible... ».
C’est pourquoi le président de l’Ordre travaille pour mettre en place en 2017 le fichier national (A.R.O.A) des schémas dentaires, afin de faciliter les démarches par des recherches nationales et informatiques. Chaque patient qui consultera, verra ainsi son schéma actualisé et mis à disposition de la base de données. Serge Fournier nous rappelle qu’un tiers des victimes des derniers attentats du Bataclan et de Nice ont été identifiés grâce aux schémas dentaires.

La famille
 
Une fois l’identité retrouvée, il convient de tenter de contacter les proches du défunt, afin de les informer, mais également de les accompagner dans le deuil.
Parfois, c’est la famille qui contacte le collectif. Ce fût le cas suite au décès d’Anthony. Quelques jours après avoir scotché l’affiche, les volontaires de l’association ont eu la bonne surprise de voir qu’elle avait été complétée avec des informations sur le défunt. Pour Marco, il en sera autrement: ce n’est qu’après son enterrement que sa famille a pu être retrouvée.


Les derniers hommages (mémorial et enterrement) 

La loi impose que la Mairie du lieu de décès paye les frais d’obsèques. La Mairie de Paris prend en charge l’enterrement mais n’offre cependant qu’un forfait standard: pas de rite particulier, par de levée de corps, ni même d’ornements
sur la tombe.
Jusqu’en 1991 à Paris, les services du cimetière creusaient une grande tranchée dans laquelle les cercueils étaient posés les uns à côté des autres. Aujourd’hui, les sans-abris anonymes sont enterrés dans des tombes individuelles. En région parisienne, c’est les «Jardins de la fraternité», situés au sein du Cimetière de Thiais, qui accueillent les corps des personnes n’ayant pu être identifiées, ou n’ayant pas eu les moyens de financer leurs obsèques.
Si la famille du mort est retrouvée, libre à elle de prendre en charge les frais d’obsèques et de procéder à la cérémonie qui leur conviendra. Dans le cas d’Anthony, sa famille s’est chargée de la mise en terre.
Pour Marco, c’est donc la Mairie de Paris qui a financé l’enterrement. 

Quelques temps après son décès, les volontaires du collectif sont retournés sur le lieu de sa mort et ont eu l’agréable surprise d’y trouver un mémorial, portant des dessins réalisés par les enfants des écoles avoisinantes, des fleurs et des messages de tendresse.
Le collectif sera ainsi parvenu à mettre une identité sur le corps de l’homme retrouvé près de la Porte-Dorée. Il aura également permis aux proches du défunt de se recueillir et d’avoir un soutien moral et psychologique.

«Marc Raymond était, avant de sombrer dans la rue, un père aimant et attentionné. Il ne se sentait pas capable de revoir Aurélie et Joseph (ses enfants) dans son état,
mais il n’a jamais abandonné l’espoir de les retrouver un jour.» (extrait du blog du collectif)












Sources:
Terrolle D., LA MORT DES SDF A PARIS: UN REVELATEUR SOCIAL IMPLACABLE, Etudes sur la mort 2002/2, N°122, p.56-58
https://memoiredesmortsdelarue.wordpress.com